Après la seconde guerre mondiale, sous l’égide de l’OMS, la santé cesse d’être le domaine d’expertise des seules sciences médicales. Elle doit être prise en compte dans toutes les politiques et bénéficier des apports de toutes les disciplines. Pourtant, force est de constater que trois quarts de siècle plus tard, dans le cadre de la gestion de la crise du Covid-19, tel n’a pas été le cas.
Le personnel soignant a réalisé un travail formidable en faisant face à la crise malgré un système d’organisation des soins où les ressources humaines et matérielles (masques, réactifs, respirateurs, etc.), déjà mises à mal avant la crise, ont été extrêmement dépourvues pour contrer la pandémie actuelle. Il aurait pu en être autrement.
Centrés sur la gestion de la maladie, les dégâts collatéraux du confinement sur une partie de la population, n’ont pas été pris en compte. Les professionnel.le.s de la première ligne (personnel des grandes surfaces, infirmièr.es à domicile, intervenant.e.s de l’action sociale, etc.) et les populations les plus vulnérables (les personnes âgées, les sans-abri, les chômeurs, etc.) ont été abandonné.e.s à leur sort. Les choix posés ont abouti à assister, au jour le jour, à l’embrasement des problèmes rencontrés par ces populations. Et les mesures de dé-confinement ont pris la même direction. Elles font fi des problèmes de fracture sociale qui se sont amplifiées et nécessitent que le dé-confinement ne se pense pas uniquement au travers du prisme de l’épidémiologie et de l’économie.
Pourtant, dès le début de la crise, les différents secteurs concernés ont réclamé des mesures leur permettant d’exercer décemment leur profession, sans risquer de devenir les vecteurs de contagion de leur public. De multiples initiatives professionnelles et citoyennes ont vu le jour pour assurer une consultation en ligne, pour désamorcer l’impact mental du confinement et son poids sur les cellules familiales, pour déconfiner virtuellement les personnes, pour confectionner du matériel de suppléance, pour aller à la rencontre des populations vulnérables, etc.
En tant qu’acteurs de promotion de la santé, nous affirmons qu’il est primordial que, tout autant que l’épidémiologie et les soins, ce foisonnement d’initiatives et d’interrogations puisse être entendu et soutenu par nos autorités politiques dont les maîtres mots restent, jusqu’à aujourd’hui, fortement imprégnés d’interdits, de conseils d’hygiène et de relance économique. Comme si le seul devoir des personnes était d’obéir et non d’être considérées comme des partenaires de la lutte pour la santé et de l’amélioration de nos sociétés. Or, le dé-confinement passe aussi par le rétablissement de l’expression des citoyen.ne.s et du débat démocratique. Il nécessite la reconnaissance des aspects sociaux et psychiques de l’épidémie et la reconstruction d’un lien de confiance entre la population et les pouvoirs publics.
La santé n’est pas une absence de maladie. Elle est liée de façon intrinsèque au social et à l’économique. Ce sont nos rapports aux autres qui nous permettent de comprendre, de choisir, de donner de la valeur, de prendre soin. Nos conditions économiques d’existence façonnent aussi notre santé et notre bien-être. Dissocier social, santé et économique, voire les opposer, est source de danger pour la santé.
Nous refusons que les citoyenne.s portent seul.e.s la responsabilité du transfert de la propagation du virus. Que l’on stigmatise les comportements « irresponsables » alors que l’État ne semble pas en capacité de mettre en place des réelles mesures de prévention et de protection et que le futur reste incertain.
Ce que nous réclamons, c’est l’anticipation. Anticipation de la crise sanitaire et sociale, anticipation de ses conséquences. Anticiper exige la mobilisation des différents secteurs de la vie mentale et sociale et des différentes expertises disciplinaires pour pouvoir agir de manière plus large sur la santé. Anticiper réclame, dès à présent, de soutenir et pérenniser les modalités de travail qui permettent aux professionnel.le.s du socio- sanitaire de gérer la crise actuelle (consultations à distance, équipe mobile d’intervention, collaboration entre le secteur des sans-abri et de la toxicomanie, etc.). Anticiper permet d’assurer la complémentarité des différents niveaux de pouvoir et des professionnel.le.s de différents secteurs. De considérer les citoyen.ne.s, non pas comme des réceptacles d’anxiété ou des délinquants à rendre dociles, mais comme des forces vives capables de créativité et d’entraide.
Anticiper nécessite la mise en place de stratégies adaptées à chaque situation avec l’aide des professionnel.le.s et publics concernés. Une telle adaptation aurait pu contribuer à éviter des catastrophes telles que celles rencontrées dans les maisons de repos car on se serait rappelé de leur existence et du fait qu’elles étaient le refuge des personnes les plus à risques. Une adaptation de ce type peut amoindrir le choc de crise socioéconomique qui s’annonce.
L’anticipation ne supprimera jamais tous les risques mais elle permettra de les atténuer.
Beaucoup s’accordent pour convenir que cette crise n’est pas seulement sanitaire. Elle s’ancre dans les crises environnementales et socioéconomiques en cours et les aggrave en renforçant les inégalités sociales. Elle éclaire les liens entre les dégradations environnementales et la santé, entre les pollutions atmosphériques, la propagation du virus d’aujourd’hui et les affections bronchopulmonaires de longue date. Les liens entre les conditions de logement et la souffrance psychique, les interactions entre la santé et l’activité économique, entre la santé et l’activité scolaire, entre la santé et la convivialité, etc.
Il est incontestable que les mesures prises pour remédier à la crise sanitaire, si elles étaient essentielles, ont révélé et accru les inégalités sociales de santé. Or les moyens de les réduire sont connus : renforcer la cohésion sociale et la solidarité (et non la charité) en amenant les acteurs communautaires à développer des initiatives dans les quartiers, améliorer les conditions de vie et de travail et l’accès aux biens et services essentiels à la santé (alimentation, éducation, aide sociale, soins, culture), développer le pouvoir d’agir des personnes et des communautés.
La promotion de la santé pose comme principe la confiance en la personne humaine et la reconnaissance de ses potentialités, de ses savoirs et de ses compétences. Elle affirme que la priorité absolue doit être accordée à la lutte contre les inégalités sociales de santé et à la prise en compte des déterminants de santé. Elle rappelle l’importance de donner aux personnes et aux groupes les moyens de participer aux décisions prises pour assurer leur santé et leur qualité de vie.
Texte co-signé par les Fédérations bruxelloise et wallonne de Promotion de la Santé