Journée d’étude « Excision et migration : Le sexe des femmes à l’épreuve des normes »

La journée d’étude Excision et migration : Le sexe des femmes à l’épreuve des normes était organisée à l’occasion de la sortie des résultats de la recherche socio‐anthropologique Excision et migration en Belgique francophone réalisée par l’Observatoire du sida et des sexualités pour le GAMS Belgique.

Cette journée a réuni des chercheurs de diverses disciplines afin de partager les résultats d’enquêtes récentes – tant qualitatives que quantitatives – menées en Belgique et à l’étranger, particulièrement en France.

Compte-rendu

Dans un contexte où la question des mutilations génitales féminines (MGF) connaît un regain d’actualité, que ce soit dans le champ migratoire, pénal ou de lutte contre les violences faites aux femmes, la journée d’étude Excision et migration : le sexe des femmes à l’épreuve des normes était organisée par l’Observatoire du sida et des sexualités afin de proposer un éclairage scientifique pluridisciplinaire sur cette problématique. Cette journée a réuni des chercheuses belges et françaises afin de partager leurs résultats d’enquêtes récentes mettant en lumière les pratiques et les représentations de l’excision, ainsi que leurs transformations en contexte migratoire en regard des normes de genre, de droit et de santé.

Dans la communication intitulée « Etude de prévalence des femmes excisées et des filles à risque d’excision en Belgique », Dominique Dubourg et Fabienne Richard, respectivement médecin-démographe et sage-femme et toutes deux chercheuses à l’Institut de Médecine Tropicale (Anvers), ont révélé en primeur les données de la recherche qu’elles ont conduite, en 2010, avec la collaboration de l’ICRH, l’ISP, l’ONE, Kind & Gezin, Fedasil et le CGRA1. Dans un contexte plutôt favorable à la collecte de données (résolution du Parlement européen du 24/03/2009, campagne End FGM d’Amnesty International-Irlande), cette étude, soutenue par le SPF Santé publique, avait pour objectif d’estimer la population (d’origine) étrangère excisée ou à risque de l’être résidant sur le territoire belge. Elle dépasse certaines limites de la première étude de ce genre conduite à l’ICRH2.
Les chercheuses ont constitué un échantillon composé des femmes résidant en Belgique et originaires d’un pays où une forme de MGF est pratiquée. Les femmes étrangères et les femmes ayant acquis la nationalité belge (source : DGSIE, 1/1/2008), les demandeuses d’asile (source : Fedasil, données 2009) et enfin les filles âgées de maximum 10 ans nées des femmes étrangères et naturalisées (source : Kind en Gezin et ONE, naissances 1997-2008) ont été prises en compte. Sur cette population totale de 22.840 femmes et filles potentiellement concernées, la prévalence connue dans le pays d’origine (source : données validées des études démographiques et de santé) a été appliquée par tranches d’âge. Il n’a pas été possible de prendre en compte ni les femmes sans papiers, ni l’âge d’arrivée sur le territoire, ni « l’ethnie » des femmes concernées – alors que ces sont des indicateurs cruciaux de la pratique. De plus, cette étude de prévalence ne rend pas compte de la prévalence observée puisqu’aucune politique de dépistage ni d’enregistrement n’est organisée.
Au 1/1/2008, l’étude estime que 8.235 femmes et filles résidant en Belgique seraient excisées ou à risque de l’être : 6.260 seraient très probablement excisées et 1.975 seraient à risque de l’être (celles qui sont nées en Europe). Cette étude révèle également que près de 80 % des femmes concernées sont originaires de 10 pays d’Afrique : Guinée, Somalie, Egypte, Nigeria, Ethiopie, Côte d’Ivoire, Sierra Leone, Sénégal, Burkina Faso et Mali. La Région flamande (3.550 filles et femmes déjà excisées ou à risque de l’être) est la plus touchée par la problématique suivie de la Région de Bruxelles-Capitale (3.037) et de la Région wallonne (1.648). Enfin, il a été remarqué que le nombre de femmes probablement excisées accouchant en Belgique est en augmentation : il a été multiplié par trois au cours des dix dernières années et était évalué à 600 accouchements pour l’année 2007.
Les chercheuses ont ainsi rappelé que les besoins de prévention (filles à risque d’être excisées) et de prise en charge psycho-médico-sociale (femmes déjà excisées) sont importants en Belgique et qu’il est donc nécessaire de préparer et de former les services concernés (ONE, Kind & Gezin, PMS/PSE, Centra voor Leerlingenbegeleiding), les médecins généralistes et les professionnels de santé.
Dans la communication intitulée « Quand migrer c’est devenir une femme mutilée : Les arbitrages multiples face au “système excision” en Communauté française », Myriam Dieleman, socio-anthropologue et chercheuse à l’Observatoire du sida et des sexualités, a présenté des résultats issus de la recherche Excision et migration en Belgique francophone (à paraître) réalisée à la demande du GAMS Belgique3. Cette enquête a été conduite en 2009-2010 à partir d’une vingtaine d’entretiens individuels menés avec des femmes et des hommes originaires d’un pays où l’excision ou l’infibulation sont pratiquées, ainsi qu’avec des intervenant.es des secteurs de la santé et de la santé sexuelle, de la migration et des droits des étrangers à Bruxelles et à Liège. L’objectif de la recherche était d’évaluer l’impact de la migration sur les représentations et les pratiques d’excision.
Son analyse met en avant la notion de « système-excision » qui rend compte d’un ensemble de prescriptions construisant les genres féminin et masculin et leurs asymétries. L’excision n’est ainsi qu’un élément d’un système visant à confirmer le régime hétérosexuel4 en construisant la division et la hiérarchie des genres, notamment par le contrôle de la sexualité des femmes. En effet, malgré la variabilité des origines (et donc des pratiques coutumières) des interlocutrices.teurs de l’enquête, les récits et discours de ceux-ci reviennent tous sur des éléments communs. La chasteté des femmes que l’excision est censée favoriser en vue ou dans le cadre du mariage (virginité et fidélité), l’apprentissage de la souffrance comme destin biologique féminin – en lien avec l’accouchement – et enfin, les vertus « éducatives » de l’excision qui inculquent ordre et obéissance aux filles, sont autant de finalités communes aux différentes formes de mutilation.
Si toutes les femmes interrogées ont affirmé leur opposition à l’excision de leurs filles, le système-excision n’est pas nécessairement remis en question. Il est plutôt aménagé et les représentations qui le fondent de même que les rôles et statuts qu’il produit peuvent perdurer. Les stratégies mises en place dans la migration révèlent ainsi un continuum d’arbitrages entre injonction sanitaire, impératif « communautaire » et logique matrimoniale. Les interlocutrices.teurs ont indiqué qu’afin de préserver la coutume, tout en diminuant son impact, la préférence pouvait aller vers une excision médicalisée ou encore vers une mutilation estimée « moins » mutilante (inciser ou couper le capuchon du clitoris, choisir l’excision et non l’infibulation, etc.).

Le contexte belge, marqué par des dispositifs de prévention, de protection internationale (asile) et de répression, est globalement défavorable à la pratique, quelles que soient ses formes. En outre, la migration peut amener ou consolider différents facteurs de changement par la diffusion du savoir médical, la distance religieuse (et la prise de conscience que la pratique n’est pas un prescrit de l’islam) et la possible expression de la souffrance.
Toutefois, l’acquisition et l’appropriation de nouveaux savoirs, notamment médicaux, sur les MGF sont en même temps qu’émancipatoires, potentiellement génératrices de souffrances spécifiques et jusque-là inconnues. Il arrive que des femmes excisées, prenant connaissance d’une autre lecture de la pratique voire « découvrant » qu’elles sont excisées, se sentent diminuées et ne se vivent plus « entièrement femmes » dès lors que le discours ambiant leur renvoie l’image de femmes amputées d’un organe essentiel à leur (hétéro-) sexualité et à leur « identité féminine ». Cette violence symbolique peut être redoublée par un discours dichotomique sur les genres et les sexualités opposant « femmes africaines traditionnelles » versus « femmes occidentales émancipées ». Cette recherche incite donc les intervenant.es à être particulièrement attentifs aux processus de reproduction des modes de domination non seulement de genre, mais aussi post-coloniaux.

Une deuxième recherche qualitative a été présentée dans une communication intitulée « Excision et migration en France : les effets différenciés du parcours migratoire et de la « double appartenance » sur le risque d’excision, le vécu de la sexualité et les demandes de chirurgie réparatrice ». Dolorès Pourette, anthropologue au Centre Population & Développement (Université Paris Descartes-INED-IRD), a présenté les conclusions du volet qualitatif de l’enquête Excision et Handicap (ExH), réalisée en France en 2007-2008 en collaboration avec Armelle Andro et Marie Lesclingand5. Cette enquête avait pour objectif de comprendre l’inscription de la pratique de l’excision dans le contexte social et familial des femmes et des filles qui en sont victimes, en mettant au jour les processus qui conduisent à l’abandonner ou au contraire à la perpétuer. Il convient de rappeler que la France a connu dès les fin des années 1970 des affaires judiciaires impliquant des exciseuses et, ensuite, des parents.
L’enquête repose sur des entretiens semi-directifs auprès de 20 femmes ayant subi une excision et 7 hommes issus de pays où une forme de mutilation est pratiquée. Ils et elles ont été principalement recruté.es via le volet quantitatif de l’enquête ExH6. Les femmes enquêtées présentent des parcours migratoires diversifiés puisque certaines sont nées dans un pays d’Afrique et sont arrivées en France à l’âge adulte, tandis que d’autres sont nées ou ont été socialisées en Europe. Par ailleurs, les premières ont généralement connu des parcours scolaires courts, des mariages précoces avec des itinéraires conjugaux complexes et des situations de vie précaires en France (la majorité ne travaille pas). Les secondes ont par contre un niveau d’études relativement élevé, ont connu un mariage plus tardif et vivent dans des conditions modestes.
Ces expériences différentes sur le plan de la socialisation mais aussi de l’accès aux ressources éducatives et économiques ont un impact décisif sur les significations de l’excision, les éventuels recours à la chirurgie réparatrice (remboursée en France) et les risques d’excision pour les filles. Même si toutes les femmes enquêtées s’opposent à la perpétuation des mutilations sexuelles, les femmes socialisées en Afrique acceptent davantage l’excision en tant que pratique « traditionnelle » qui les rattache à leur pays d’origine et aucune n’a opté pour une opération de reconstruction du clitoris. Les femmes socialisées en France ressentent au contraire leur excision comme une mutilation, une atteinte à leur féminité et un obstacle au plaisir sexuel, d’où un intérêt pour la chirurgie (cinq y ont eu recours, une en exprime le désir). Elles sont généralement les seules de leur fratrie à être excisée et beaucoup l’ont découvert de manière assez brutale (par un petit-ami ou un médecin maladroit). Pour ces femmes, la chirurgie a fonctionné comme levier à la verbalisation et au dialogue avec le conjoint et au sein de la famille. Enfin, selon D. Pourette, le risque d’excision des fillettes peut être évalué selon trois niveaux gradués qui correspondraient à la gestion différenciée d’une « double appartenance culturelle » dans laquelle les femmes soit 1/ auraient opéré une « synthèse » des deux cultures, 2/ seraient « ballottées entre deux mondes » ou 3/ seraient « attachées à leur culture d’origine » (le risque augmentant de la première à la troisième catégorie). Nous reviendrons toutefois en conclusion sur la prise en compte de la « culture » dans la compréhension de ces phénomènes.

Enfin, mettant l’accent sur plusieurs enjeux de l’action publique en matière de MGF dans sa communication « Répondre aux MGF en Europe : Trouver l’équilibre entre poursuivre et prévenir », Els Leye, collaboratrice scientifique à l’International Centre for Reproductive Health (ICRH, Université de Gand), a présenté les conclusions d’une recherche conduite en 2009 avec Alexandra Sabbe7. L’étude s’est penchée sur l’adoption et la mise en oeuvre de lois (spécifiques ou générales) pénalisant les auteurs de MGF et/ou de protection des mineurs, ainsi que sur les dispositions relatives au signalement et au secret professionnel. Ce projet a été soutenu par le programme DAPHNE de la Commission européenne.
D’une part, des données sur le cadre législatif des Etats membres de l’UE (ainsi qu’en Norvège et en Suisse) ont été collectées auprès d’acteurs-clés sur la base d’un questionnaire. D’autre part, des ateliers de renforcement de compétence ont été organisés avec des professionnels de divers secteurs dans cinq pays (Belgique, France, Espagne, Suède et Royaume-Uni). Le projet a abouti à l’élaboration d’un outil d’évaluation de la performance des gouvernements pour mettre fin aux MGF et à la diffusion de recommandations en vue de renforcer les législations sur les MGF.
La recherche montre que, fin 2009, dix Etats membres de l’UE avaient adopté une loi pénale spécifique pour les MGF – la Suède fait figure de précurseur avec une loi datant de 1982 et la Belgique est dotée d’une telle diposition depuis 2000 – tandis que dans la majorité des pays, les MGF tombent sous le coup de la législation pénale générale concernant par exemple l’atteinte à l’intégrité ou la mutilation (non strictement sexuelle). L’introduction de lois spécifiques est une tendance remarquable en Europe et a été favorisée par l’adoption de résolutions au Parlement européen (2001 ; 2009) et au Conseil de l’Europe (2001). En dépit du fait que le nombre de pays avec des lois pénales spécifiques a sensiblement augmenté, les affaires judiciaires restent peu nombreuses, même si elles augmentent depuis le milieu des années 2000.
Certains pays ont également développé des procédures spécifiques concernant la protection des mineurs. Des différences importantes existent toutefois en matière de signalement des abus sur mineurs : s’agit-il d’un droit ou d’un devoir ? Dans les faits, sept pays ont procédé à des interventions de protection de l’enfant spécifiques aux MGF et onze pays ont signalé des cas (suspectés) de MGF. Cinq pays n’ont aucun cas de MGF, ou d’intervention en matière de protection des enfants, ou de signalement (particulièrement en Europe centrale et de l’Est).
L’application des lois soulève d’autres enjeux importants parmi les acteurs professionnels, dont : le manque apparent de connaissances sur les MGF et sur le cadre légal, des problèmes liés à la détection – en particulier l’évaluation des risques – et au signalement vu les réticences des professionnels à renvoyer vers le judiciaire. Le manque de coordination intersectorielle parmi les professionnels et la fragmentation des politiques publiques (par exemple en Espagne ou en Belgique) ont également été pointés. En matière de recommandations, les chercheuses préconisent de produire des protocoles et des directives pour les professionnels, de développer un outil d’évaluation des risques spécifiquement dans certains secteurs d’intervention, l’organisation d’un débat éthique et médical international sur la mise en œuvre d’un examen gynécologique systématique des filles (et dans ce cas, le libre choix du médecin doit être absolu).

Les débats avec la salle, essentiellement composée d’intervenant.es professionnel.les (services PSE, ONE, hôpitaux, centres de planning familial, juristes et magistrats, acteurs de prévention IST/VIH, associations féministes) mais également d’étudiant.es, de chercheur.es et de représentant.es politiques et institutionnels ont permis de saisir avec acuité les questions et enjeux qui se posent aujourd’hui sur le terrain.

Concernant l’examen gynécologique des filles, il a été rappelé qu’aucune politique de dépistage systématique n’est encore mise en œuvre en Belgique. L’ONE n’examine pas les organes génitaux externes des enfants à chaque consultation mais uniquement dans les premières semaines de vie (cf. guide ONE). En 2007, le Conseil supérieur de promotion de la santé avait rendu un avis défavorable à l’organisation d’un tel examen, vu le risque d’entamer le lien de confiance entre professionnels et patients et vu les dangers à articuler prévention et contrôle. Des réunions sur cette question sont organisées actuellement entre professionnels dans le cadre de la campagne de sensibilisation du GAMS Belgique. Par exemple, la possibilité de notifier les cas d’excision dans le dossier médical permettrait de mieux connaître la situation réelle et, surtout, de fournir les soins adéquats. Les centres d’accueil de Fedasil sont également ciblés dans le cadre de leur mission de prise en compte sanitaire des victimes de torture.
Le débat porte en outre sur la question de savoir si cet examen doit viser uniquement les filles africaines « à risque » (avec le problème de la discrimination/stigmatisation) ou toutes les filles dans le cadre de la visite médicale scolaire annuelle (avec le risque que les parents – belges et non belges – s’y opposent). Les pistes de travail s’orientent vers un examen généralisé (qui permettrait de dépister d’autres problème, par exemple en cas d’abus sexuel) et un examen visuel externe (non invasif). L’examen pourrait simplement être intégré dans ce qui existe déjà (examen ONE, PMS).
La conclusion, déjà contenue dans le plan d’action des Stratégies concertées de lutte contre les MGF8, est qu’il est nécessaire d’organiser un débat entre professionnels sur les aspects organisationnels, éthiques et sanitaires du dépistage.

À propos du champ d’application de la loi pénale et de la distinction entre MGF et chirurgie esthétique/piercing, un participant a précisé que très récemment, en août 2010, des organismes internationaux dont l’UNICEF ont rappelé que toutes les atteintes physiques sur le sexe sont des mutilations, y compris le piercing.
En Belgique, la loi prévoit de réprimer toutes les MGF, qu’elles aient été pratiquées avec ou sans le consentement de la victime, mais elle n’inclut pas le piercing. Un débat s’est engagé sur l’application de la loi car, au-delà des situations concernant les mineures, comment et pourquoi distinguer une femme africaine adulte qui souhaiterait être excisée de manière « rituelle » et une femme européenne qui souhaiterait faire une opération de chirurgie plastique de ses organes génitaux ? Le constat est que la loi ne s’applique pas uniformément entre ces deux situations, ce qui soulève l’hypothèse d’un biais culturel à travers lequel la notion de consentement serait différemment comprise selon l’origine des personnes.

Les cas de réinfibulation médicalisée post partum, observés en Belgique, ont déclenché de nombreuses réactions. Certains ont souligné que, même si la loi n’est pas précise à ce sujet, la réinfibulation est une mutilation. Le problème se situe donc au niveau de la diffusion d’un message sur la loi auprès des acteurs de santé. Par ailleurs, un questionnement déontologique doit être approfondi : pourquoi des médecins pratiquent-ils cet acte ? Les enquêtes montrent qu’ils veulent respecter la demande et la supposée « culture» de la patiente. De plus, ils veulent laisser le sexe des femmes « dans le même état » qu’avant l’accouchement. Ces pratiques cliniques sont donc significatives des représentations culturelles et d’un manque de connaissance de la problématique. Un lien a été évoqué avec la question de la réfection de l’hymen (« est-ce le rôle des médecins de faire cela ? »).

Au sujet des stratégies des populations migrantes, notamment celles de minimiser et médicaliser les MGF, la position des associations est très claire.
Toute mutilation est une atteinte à l’intégrité, quel que soit le type. Médicaliser n’enlève rien au problème de la mutilation et n’est donc pas une stratégie à privilégier pour la prévention. Le cas de l’Egypte a été évoqué : la majorité des femmes y sont excisées par des professionnels de santé (médecins, sages-femmes) et pourtant la pratique continue, de même que les effets à long terme de l’excision.

La discussion sur la chirurgie réparatrice et le vécu post-opératoire a porté sur les limites d’une telle intervention.
En Belgique, le groupe d’experts du Conseil supérieur de la santé a remis un avis à la Ministre de la Santé (août 2009) concernant le remboursement de cet acte. Jusqu’à présent, aucune loi n’a encore été prise dans ce sens. L’avis stipulait que la chirurgie peut apporter une solution pour certaines femmes mais ne doit pas être systématiquement proposée. En effet, la part psychologique du problème sexuel est importante et certaines femmes empruntent d’autres voies thérapeutiques (par exemple : consultation psychologique ou sexologique). En conséquence, le remboursement des soins devrait porter sur l’acte chirurgical et sur l’accompagnement global. Il faut pointer le fait que l’opération peut aussi être un échec : il arrive que des femmes qui ressentent du plaisir sexuel avant l’opération ne sentent plus rien voire souffrent ensuite. Pour certaines, l’opération pourrait même être vécue comme une seconde mutilation. Enfin, l’accompagnement (associatif) est important pour les femmes qui ne peuvent pas en parler à leur famille.

La question des procédures d’intervention en matière de (risque) d’excision a renvoyé à une comparaison entre excision et maltraitance. Des protocoles existent concernant la maltraitance, mais l’excision n’est pas spécifiquement mentionnée dans ceux-ci. Or les professionnels peuvent s’en inspirer et utiliser leurs outils habituels pour savoir comment agir (du moins tant qu’aucun protocole spécifique aux MGF n’existe en Belgique). Pour plusieurs participants, les mutilations sont en effet une forme de maltraitance en référence aux textes de l’ONU et du HCR qui définissent l’excision sous l’angle de la violence continue (l’acte est ponctuel mais ses conséquences se paient tout au long de la vie des femmes concernées ; de plus certaines femmes sont soumises à des ré-excisions et réinfibulations).

La crainte de lever le secret professionnel a été pointée comme un obstacle à la mise en œuvre de la loi pénale, alors que le risque de MGF peut constituer un état de nécessité et figure au rang des cas d’allègement du secret médical .
L’incertitude quant aux enjeux d’un signalement en regard des dispositifs existants explique les réticences et le malaise des professionnels : si les parents sont condamnés pour excision sur leur fille, seront-ils emprisonnés et les enfants seront-ils placés ? Dans certains cas, la protection internationale (statut de réfugié) accordée au motif du risque d’excision pourrait être retirée, avec un risque d’expulsion tout à fait probable. Actuellement, aucun procès n’a eu lieu et il est difficile d’anticiper les conclusions d’une affaire judiciaire. Si certains acteurs plaident pour une approche répressive, d’autres estiment que le signalement doit viser avant tout la protection de l’enfant (et de sa fratrie) et le soin.

Pour ce qui concerne la politique d’asile en lien avec les MGF, on a rappelé que le CGRA a, depuis quelques années, mis en place une procédure d’octroi du statut de réfugié lorsqu’une crainte de mutilation est invoquée, ainsi qu’une procédure de suivi des familles protégées pour ce motif.
Cette stratégie de contrôle est présentée comme une stratégie de prévention par le CGRA (« contrôle préventif »). En cas d’excision avérée, le CGRA peut envisager le retrait du statut.

D’autres points ont été discutés plus brièvement.
La part de la sexualité dans les campagnes de lutte contre l’excision a été décrite comme contre-productive par certains acteurs (parler de plaisir risquerait de choquer les populations concernées et remettrait directement en cause une des finalités de l’excision qui est de « prévenir la débauche des filles »). Le message en matière de santé reproductive semble donc plus efficace.
La loi est utilisée par les familles qui ne souhaitent pas exciser leur fille pour faire face à la pression familiale (lors d’un voyage dans le pays d’origine par exemple). Une suggestion pratique portait sur la réalisation d’un document (national ou européen) de type « juridique » qui pourrait être remis aux parents.
La responsabilité des hommes a été discutée et on a relevé le manque de mobilisation des hommes dans les campagnes de lutte contre les MGF.
En matière de coordination belge, les Stratégies concertées de lutte contre les MGF constituent actuellement le cadre de référence en Communauté française9.

Pour conclure, il convient de souligner un enjeu important qui n’a pas pu être discuté vu l’absence, pour raison impérieuse, d’une oratrice (Gily Coene, co-éditrice avec Chia Longman en 2010 de l’ouvrage Féminisme et multiculturalisme : Les paradoxes du débat, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang). Le débat entre féminisme et multiculturalisme et, surtout, la place de la « culture » et des « traditions » doivent en effet faire partie intégrante d’une réflexion sur la problématique des mutilations.
Comment s’assurer que le féminisme et les droits des femmes ne soient pas instrumentalisés par des politiques qui renforcent la stigmatisation des étrangers ou qui ferment les frontières ? Plus précisément, comment ne pas reproduire l’opposition factice entre femmes occidentales « libérées » et femmes africaines « dominées » ? En 1981 déjà, l’Association française des anthropologues écrivait au sujet des mutilations sexuelles que « de fait, un certain féminisme ressuscite aujourd’hui l’arrogance moralisatrice du colonialisme d’hier10 ». La tension, à l’époque posée en termes d’universalisme versus relativisme, se retrouve aujourd’hui à travers les difficiles conciliations, largement médiatisées, caricaturées et instrumentalisées, entre lutte contre le sexisme et lutte contre le racisme.
Il faut rappeler avec force que les « cultures » ne forment pas des blocs monolithiques ou homogènes, et qu’elles sont de plus situées historiquement et donc continuellement changeantes. Ensuite, il ne faudrait pas, sous couvert de dénoncer certaines formes de violence de genre, prêter main-forte aux discours qui répandent l’idée que l’émancipation féminine serait totalement acquise dans les sociétés occidentales et que la domination masculine serait l’apanage des sociétés non occidentales. La question des mutilations est dès lors un bel objet pour penser, en miroir, les représentations de sexe et de sexualité que l’Occident produit sur lui-même et sur l’ailleurs. Enfin, la compréhension de ces phénomènes complexes exige d’être rigoureux et d’écouter en priorité les revendications des femmes concernées, afin de lutter efficacement contre la reproduction des MGF.

1Étude de prévalence des femmes excisées et des filles à risque en Belgique. Disponible en ligne sur le site du SPF Santé : http://www.health.belgium.be/eportal/Myhealth/socialissues/excision/19065009
[retour en haut]
2LEYE E., DEBLONDE J., La législation Belge en matière de mutilations génitales féminines et l’application de la loi en Belgique, ICRH, Publications n° 9, Gand (Belgique), Avril 2004.
[retour en haut]
3Excision et migration en Belgique francophone. Prochainement disponible en ligne sur le site de l’Observatoire du sida et des sexualités : https://www.observatoire-sidasexualites.be
[retour en haut]
4Monique Wittig (dans « La Pensée straight », In WITTG M., La Pensée Straight, Paris, Amsterdam, 2007 [1980], p. 53-61) définit l’hétérosexualité comme la relation obligatoire entre « l’homme et la femme », relation supposément inéluctable et évidente – en tout cas inquestionnée – et comme un système social d’oppression et d’appropriation des femmes par les hommes. Elle critique également les catégories de la différence des sexes, « homme et femme », en tant que produits de la domination naturalisés par celle-ci.
[retour en haut]
5 Rapport final de l’enquête qualitative ExH : Comment orienter la prévention de l’excision chez les filles et jeunes filles d’origine africaine vivant en France. Disponible sur le site de l’INED : http://www.univ-paris1.fr/ufr/idup/cridup/2-grands-axes/enquete-exh-excision-et-handicap/
[retour en haut]
6ANDRO A., LESCLINGAND M., CAMBOIS E., CIRBEAU C., Excision et Handicap : Mesure des lésions et traumatismes et évaluation des besoins en chirurgie réparatrice. Volet quantitatif du projet Excision et Handicap (ExH), Paris, Paris 1 – Acsé, 2009.
[retour en haut]
7 Responding to Female Genital Mutilation in Europe: Striking the right balance between prosecution and prevention. Disponible sur le site de l’ICRH : http://www.icrh.org/publications/responding-to-female-genital-mutilation-in-europe
[retour en haut]
8 DIELEMAN M., RICHARD F., MARTENS V., PARENT F., Stratégies concertées de lutte contre les mutilations génitales féminines. Un cadre de référence pour l’action en Communauté française de Belgique, Bruxelles, Ed. GAMS Belgique, 2009.
[retour en haut]
9http://www.strategiesconcertees-mgf.be
[retour en haut]
10Cité par MATHIEU N.C., L’anatomie politique : Catégorisations et idéologies du sexe, Paris, côté-femmes, 1991, p. 136.
[retour en haut]